CHAPITRE II

Une lourde chape de chaleur écrasait Radao, une cité anarchique bâtie sur pilotis à l’orée de la jungle.

Accoudé à la rambarde d’une terrasse, Rohel Le Vioter observait le Jahong qui se jetait au loin dans la muraille de végétation. Quatre jours qu’il avait débarqué à Radao, et il n’était pas parvenu à trouver le moyen de remonter ce large et paresseux cours d’eau jusqu’à Mérédith. Le port fluvial constituait le terminus des navettes volantes et aucun pilote, même contre promesse d’une prime substantielle, ne se risquait à survoler le cœur de la jungle, protégé par une invisible barrière magnétique.

En contrebas, les filars, les grandes embarcations des chasseurs de cropoulpes – des reptiles fluviaux et géants dont le commerce des peaux était très florissant sur Illith –, glissaient silencieusement sur la surface scintillante du fleuve. La saison des chasses battait son plein. Les mégissiers organisaient des excursions quotidiennes sur le Jahong, mais il ne fallait pas non plus compter sur eux pour monter une expédition jusqu’aux sources du fleuve. D’une part, Le Vioter n’avait pas assez d’argent à leur offrir, et d’autre part, ils semblaient frappés d’une incommensurable terreur au simple fait d’évoquer la ville légendaire de Mérédith.

Il avait également cherché à contacter les tribus indigènes qui peuplaient la région et qui disposaient de pirogues rapides et légères. Mais, fanatisées par des missionnaires du Chêne Vénérable, elles livraient une guerre permanente aux colons de Radao. Restaient les filars armés des écumeurs du fleuve, les Malars Jahong, un ramassis de pirates commandés par d’anciens mercenaires. Une solution inenvisageable : les Malars Jahong commençaient par rançonner les étrangers qui négociaient avec eux, les dépouillaient au cours de l’expédition et jetaient leurs cadavres dans le fleuve.

Le regard de Rohel erra sur les innombrables passerelles flottantes qui reliaient les maisons de bois. Certaines habitations, de simples cabanes, étaient directement posées sur les branches maîtresses et élaguées d’arbres géants. D’autres, plus luxueuses, reposaient sur de hautes colonnes de verre plantées dans l’eau à intervalles réguliers. Les dernières enfin, disposant de moteurs stabilisateurs, demeuraient suspendues au-dessus du vide. Les ponts de corde et les corridors aériens transparents enjambaient le fleuve et se superposaient de manière totalement désordonnée. De loin, l’ensemble faisait penser à une toile tissée par une araignée prise de démence.

— On m’a dit que vous vouliez vous rendre à Mérédith ?

Le Vioter se retourna. La femme qui venait de l’interpeller se tenait à trois mètres de lui. Sa peau diaphane, sa somptueuse chevelure aux reflets mauves, ses traits d’une rare finesse et la broche sertie de pierres précieuses qui maintenait le savant drapé de sa robe de moire trahissaient à la fois des origines étrangères et un rang social élevé. Ses yeux couleur d’améthyste semblaient implorer Le Vioter qui, d’un signe de tête, l’invita à poursuivre.

— Je… Ne pourrions-nous pas en parler dans un endroit un peu plus frais ? suggéra-t-elle en s’éventant du plat de la main.

De fines perles de transpiration luisaient autour de ses lèvres pleines, ourlées d’un mince fil d’or incrusté dans la peau.

— Cette taverne ne semble pas très bien tenue, mais c’est la seule dans le coin, proposa Le Vioter en désignant la porte basse d’une cabane de bois, posée à cheval sur deux branches feuillues d’un arbre géant.

— Je vous parais probablement… disons, futile, soupira la jeune femme en reposant son verre.

Elle ne cessait de jeter des regards dédaigneux sur l’infâme gargote dans laquelle Le Vioter et elle avaient échoué. Ils s’étaient installés dans un recoin sombre de la salle. Avant de condescendre à s’asseoir, elle avait exigé du patron, un gros homme vêtu d’un pagne crasseux, qu’il essuie soigneusement le banc. Mais le chiffon s’étant avéré aussi sale que le reste, elle avait fini par se résigner à souiller sa précieuse robe noire.

— Je dois moi aussi me rendre à Mérédith, reprit-elle après avoir dispersé une nuée de grosses mouches rouges. J’ai loué une grande embarcation plate, un filar comme on l’appelle ici. En revanche, je rencontre certaines difficultés à constituer mon équipage. J’ai entendu dire que vous…

— Pourquoi cette expédition ?

Elle observa un court instant de silence. Ses yeux s’embuèrent et elle se mordit violemment la lèvre inférieure. Ses dents crissèrent sur le fil d’or.

— Mon mari a disparu, il y a deux ans de cela, dans cette jungle… (Elle tendait le bras en direction de la fenêtre.) Il faisait partie d’une importante mission archéologique dont le but était de découvrir et d’explorer le site de Mérédith.

— Pour quoi faire ?

— Notre monde, la galaxie des Chutes Célestes, est menacé d’asphyxie. La chaîne végétale s’est interrompue, l’eau et l’air se tarissent. Pour survivre, les habitants des Chutes Célestes sont contraints de porter masques et combinaisons. Mon mari et ses amis scientifiques pensaient trouver une solution à nos problèmes dans l’antique civilisation d’Illith. Elle passe pour avoir constitué un modèle d’équilibre écologique.

Tout en buvant l’insipide breuvage que leur avait d’autorité servi le patron, Le Vioter observa sa séduisante interlocutrice. Son histoire se tenait, car il avait lui-même entendu parler des difficultés rencontrées par la galaxie des Chutes Célestes. Mais, au cours des cinq années passées au sein du Jahad, le service secret du Chêne Vénérable, il avait souvent rencontré ce genre de femme : une courtisane, habituée aux intrigues, experte dans l’art de la manipulation. Elle pouvait très bien lui jouer la comédie.

— Deux ans, c’est un peu long pour s’inquiéter d’un disparu, non ?

— J’ai alerté les autorités dès qu’il a cessé de m’envoyer ses messages, répliqua-t-elle avec vivacité. J’ai même obtenu une entrevue avec notre empereur, Tsou Han, en personne. Personne n’a voulu m’écouter. Le chaos menace les Chutes Célestes et la cour impériale ne songe qu’à s’étourdir dans les fêtes et les complots. Deux ans, c’est le temps que ces démarches m’ont coûté.

Une aiguille de douleur perfora soudain les poumons de Rohel : une violente attaque du poison diffusé dans son sang. Un linceul de sueur glacée le recouvrit de la tête aux pieds.

— Vous êtes bien pâle…

— Un… accès de fièvre, marmonna-t-il, s’agrippant des deux mains au rebord du banc pour ne pas tomber.

Les yeux mi-clos, la femme des Chutes Célestes l’examina attentivement et murmura :

— Une fièvre ? Je n’en reconnais pas les symptômes…

Le poison du Jahad se rappelait fréquemment au bon souvenir de son hôte, avec une emprise chaque fois plus virulente. La douleur s’estompa. Il se demanda combien de temps il faudrait à l’invisible pieuvre pour achever de démanteler les défenses provisoires dressées par la potion de Larhma Mâthi. Le voyage était encore long jusqu’à Mérédith, jusqu’au repaire des Maîtres Sonneurs, jusqu’au Monde des Franges où résidait dame Asmine d’Alba, la seule personne dans l’univers capable de le délivrer définitivement du poison.

— Voulez-vous faire partie de mon équipage ? reprit la femme des Chutes Célestes. Vous serez à mon service jusqu’à Mérédith. Bien entendu, vous serez payé.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que je souhaite me rendre à Mérédith ?

— Le marchand de peaux à qui j’ai acheté un filar et que vous aviez déjà contacté.

Le Vioter fixa son attention sur sa broche en forme de papillon.

Les pierres précieuses dissimulaient peut-être un vibreur sonique miniature, une de ces merveilles technologiques dont les courtisanes avaient la détestable manie de truffer leurs bijoux. Des armes qui émettaient d’invisibles ondes mortelles et dont les déclencheurs se situaient généralement dans les boucles d’oreille ou les bagues, elles-mêmes assorties aux broches.

— Une expédition dans la jungle n’est pas une partie de plaisir, objecta-t-il. Dragons-vampires, cropoulpes, fauves, insectes, tribus… sans parler de la chaleur et de l’humidité.

— Vous me prenez pour une mondaine écervelée, n’est-ce pas ?

Les traits de son interlocutrice s’étaient durcis. Une ride verticale barrait son front.

— Ce que vous pensez de moi m’importe peu, reprit-elle. Contentez-vous de me dire si vous acceptez mon offre.

— De combien d’hommes disposez-vous ?

— Deux gardes du corps, le professeur Maj Huni, un vieil ami de mon mari, une guide indigène, un pilote chevronné et un fra du Chêne Vénérable qui profitera de notre filar pour faire une tournée d’inspection des missions.

— C’est peu.

Le Vioter contempla le fleuve pour masquer le trouble qui s’était emparé de lui. La présence d’un missionnaire, fanatique d’entre les fanatiques, n’était vraisemblablement qu’une coïncidence, mais chaque légation, chaque temple, chaque mission avaient certainement reçu, à défaut de portrait – le Chêne Vénérable avait institué le tabou formel de l’image –, un descriptif précis du fuyard. Désormais, Le Vioter n’était en sécurité nulle part, car les membres de l’omniprésente Église formaient une immense chaîne de renseignements. Cependant, s’il voulait remporter la course de vitesse engagée entre le poison et lui, il n’avait pas d’autre choix que d’accepter la proposition de la jeune femme.

— Votre salaire sera de mille gemmes. Payables à Mérédith. Nous partons dans deux jours. À la première aube.

Elle se leva et se dirigea vers la porte basse. Sa robe légère épousait chaque mouvement de son corps. Le Vioter devina que ses apparences frivoles recelaient une volonté de fer et une ambition dévorante. Elle ne se lançait sûrement pas dans cette aventure pour le simple plaisir de remettre le grappin sur un mari disparu.

Elle se retourna avant de sortir. Sa frêle silhouette se découpa à contre-jour dans l’encadrement de la porte. Il ne distingua plus que le fil d’or soulignant sa bouche et les éclats violets de ses yeux qui le dévisageaient avec ardeur.

— Dans deux jours. Au port fluvial. Demandez le filar d’Urtelande de Pandoule. Que vous soyez là ou non, nous appareillerons.

Elle jeta un dernier regard de mépris au patron affalé sur un coin du bar et s’engagea d’un pas résolu sur une passerelle de corde.

*

La nuit tombait sur Radao. La jungle n’était plus qu’une masse informe et noire. Les feux rouges et ocre de trois des sept lunes d’Illith se réfléchissaient sur le miroir assombri du Jahong.

Le Vioter sortit de la petite auberge où il avait l’habitude de prendre ses repas et emprunta un escalier intermédiaire qui surplombait le réseau des passerelles inférieures.

Avant d’embarquer, il comptait soutirer quelques renseignements aux vieux chasseurs de cropoulpes qui hantaient les tavernes du quartier portuaire du Smerill et qui semblaient avertis de tout ce qui se tramait dans la ville. Ils avaient certainement entendu parler de l’expédition d’Urtelande de Pandoule.

Le Vioter dévala un second escalier tournant, creusé dans un arbre géant. Il n’y croisa qu’une bande d’enfants criards qui jouaient sur les marches. Il déboucha sur un étroit ponton de bois. Des baraquements de tôle, d’où s’échappait une odeur pestilentielle, bordaient la rive boueuse jonchée de barques. Au retour de leurs chasses, les mégissiers y entassaient les peaux de cropoulpes pour un premier séchage.

Il s’installa dans la navette automatique qui faisait la liaison avec le port fluvial. Il était seul. Il attendit quelques minutes, puis la cabine oblongue s’éleva dans un sifflement aigu, survola le Jahong à faible vitesse et se posa sur son aire d’atterrissage quelque cinq cents mètres plus loin, face à la digue principale du port. En descendant de la navette, Le Vioter fut presque assailli par l’atmosphère pesante, hostile, qui baignait les lieux. Il désamorça le cran de sécurité de son vibreur sonique passé sous sa large ceinture de tissu et plaça sa dague-laser dans une manche de sa combinaison de coton. Il fit quelques pas sur la jetée éclairée par une rangée de lampadaires. Les planches rugueuses et épaisses, étayées par d’imposants chevrons, craquaient sous les semelles de ses bottes. En contrebas, les coques plates des lourds filars, amarrées à des bittes de bois, s’entrechoquaient les unes contre les autres sous l’effet d’une imperceptible houle qui faisait danser mollement le halo des lanternes sur les bâches fixées par quatre mâts au-dessus des ponts supérieurs des embarcations.

Les quais étant déserts, Le Vioter fit demi-tour. Il se dirigeait vers les ruelles éclairées et animées du Smerill quand une silhouette grise se dressa devant lui :

— La charité, sire.

D’un mouvement circulaire de la main, Rohel saisit le manche de sa dague-laser et attendit, campé sur ses jambes. La silhouette s’approcha et s’immobilisa sous le faisceau d’un lampadaire. C’était un homme sans âge, aux longs cheveux filasses et au visage grêlé. Il lui manquait un bras et ses hardes empestaient l’urine et l’alcool.

— Vous n’avez rien à craindre de moi, sire. Je ne suis qu’un pauvre bougre à qui le cropoulpe a volé un bras, un Malar Jahong renié par les siens.

— Que veux-tu ? demanda sèchement Le Vioter.

— Quelques gemmes, sire. Juste de quoi boire et oublier…

Des braises sournoises luisaient dans ses yeux globuleux et striés de filaments sanguins. De violentes convulsions agitaient le tissu élimé de sa veste. Un sentiment de danger étreignit Rohel, qui maintint une distance prudente avec son étrange interlocuteur.

— Débarrassez-vous donc de vos gemmes, sire. De toute façon, vous allez bientôt partir pour un voyage d’où l’on ne revient pas. Je sais que l’étrangère, la femme des Chutes, cherche à vous entraîner avec elle dans la mort.

Le Vioter serra nerveusement le manche de son arme et jeta un rapide coup d’œil derrière lui. Le manchot était seul, mais il ne se trouvait sûrement pas sur son chemin par hasard.

— Vous vous demandez comment je suis au courant de tout cela, sire. Sachez qu’ici tout se sait. Sur Illith, les murs, les arbres, le vent et la terre ont des oreilles.

L’homme brandit subitement le poing. Rohel recula aussitôt d’un pas et déclencha l’ouverture de la lame laser de sa dague. Le poinçon de lumière blanche, d’une longueur de trente centimètres, gifla les ténèbres. Un rictus sardonique déforma les lèvres fendillées du mendiant. Sous sa veste, les mouvements s’accentuaient, comme si ce morceau d’étoffe usée jusqu’à la trame abritait une vie intense, convulsive.

— Vous avez la méfiance dans le cœur, sire. Là où vous allez, la méfiance est mauvaise conseillère. Puisque vous refusez de donner à un pauvre homme ce qu’il vous demande, je me vois contraint d’en appeler au jugement du roi Memba…

Une forme effilée apparut alors à la base de son cou, se glissa hors de sa veste et se dressa lentement au-dessus de son épaule. Le Vioter crut d’abord qu’il s’agissait d’un serpent, mais il distingua des ailes membraneuses repliées le long du corps écailleux et, sous l’abdomen blanchâtre, quatre pattes aux griffes imposantes. Un dragon-vampire, l’une des espèces les plus dangereuses des jungles d’Illith.

— Le roi Memba est assoiffé, fredonna le mendiant. Il n’a pas encore eu sa dose de sang aujourd’hui.

La tête triangulaire du dragon, perché sur l’épaule de son maître, se balançait d’un côté sur l’autre. Ses yeux ronds et rouges brillaient comme deux rubis posés sur un écrin de soie noire. De sa gueule entrouverte saillaient deux longs crochets recourbés.

Le Vioter ne s’était jamais trouvé face à l’un de ces tueurs ailés, mais il avait entendu dire que leurs attaques étaient imprévisibles, foudroyantes, et qu’il ne leur fallait que quelques secondes pour vider leurs victimes de leur sang.

Le dragon-vampire déploya ses ailes translucides et prit son envol.

— Votre voyage risque fort de s’arrêter ici, gloussa le mendiant. Voyez où conduit le manque de générosité.

— Si vous tenez à votre satanée bestiole, vous devriez immédiatement la rappeler, répliqua Le Vioter, sans quitter des yeux le reptile qui prenait de la hauteur et allait bientôt sortir du halo lumineux du lampadaire pour se fondre dans la nuit. Je suis empoisonné. Je ne sais pas combien de temps il vous a fallu pour dresser ce monstre, mais s’il se nourrit de mon sang, il mourra en même temps que moi.

Le manchot libéra un petit rire aigu.

— Je suis déçu, sire. Vous me prenez pour l’un de ces sombres crétins qui hantent les bas-fonds du Smerill. Veuillez regarder ceci, je vous prie.

Il tendit le bras et ouvrit la main pratiquement sous le nez de son interlocuteur. Un tatouage phosphorescent – un cercle, un carré et deux triangles entrecroisés – étincelait dans le creux de sa paume.

— Il y a longtemps, on m’a greffé la marque indélébile des écumeurs du fleuve, les Malars Jahong. Vous avez devant vous un ancien Seigneur du Smerill. Vous avez grand tort de me sous-estimer, sire.

Le Vioter n’était pas dupe : tout ce verbiage n’était qu’une grossière manœuvre destinée à détourner son attention. Il repoussa brutalement la main du manchot et, relevant les yeux, scruta la nuit. Le dragon avait disparu. Seul un léger froissement, semblant provenir de plusieurs endroits à la fois, trahissait son invisible présence. Tous sens aux aguets, tendu, Rohel posa sa main libre sur la crosse de son vibreur sonique.

— À votre place, je ne toucherais pas à ce joujou, glapit le mendiant. La vue des armes rend le roi Memba particulièrement féroce. Pervers, même. Il prendrait beaucoup de plaisir à faire durer votre agonie.

À peine avait-il prononcé ces paroles que Le Vioter perçut un sifflement au-dessus de lui. En une fraction de seconde, il évalua sa position par rapport au garde-corps de la digue, fit semblant de se jeter sur sa gauche et plongea droit devant lui en direction du mendiant. Trompé par cette feinte, emporté par sa vitesse, le dragon-vampire battit vigoureusement des ailes pour redresser sa trajectoire. Mais, au passage, avant de reprendre de l’altitude, il parvint à planter ses griffes dans le dos de sa proie.

Entaillé de la ceinture jusqu’à l’omoplate, Le Vioter roula sur lui-même et se rétablit sur ses jambes. La douleur, cuisante, intense, le fit chanceler. De larges corolles pourpres se propagèrent sur sa combinaison déchiquetée. Il faillit lâcher sa dague, mais il se ressaisit et s’apprêta à essuyer une nouvelle attaque.

— Vous ne vous débrouillez pas trop mal, sire, ricana le mendiant qui s’était réfugié dans un abcès de ténèbres. Pour moi, cela sera un honneur que de vous dépouiller.

L’encre du ciel avait de nouveau absorbé le dragon. Le Vioter jugea que le moment était venu de prendre l’initiative. S’il continuait de s’offrir en victime expiatoire, il n’aurait aucune chance de sortir vivant de ce traquenard. Il lui fallait immédiatement mettre à profit le court instant de répit offert par le reptile ailé que sa première tentative avortée avait probablement rendu circonspect.

Désappointé par l’échec de son monstre apprivoisé, le mendiant s’efforça de l’exciter en poussant des petits cris suraigus, presque plaintifs. Il contemplait la voûte céleste, tête en arrière, la main posée sur le front. Il ne vit pas s’approcher Le Vioter dont le bras s’enroula comme une lanière autour de son cou.

Les deux hommes basculèrent à la renverse. Volant au secours de son maître, le dragon fondit en piqué sur les deux adversaires enchevêtrés. Les aspérités des planches de bois avivaient les blessures de Rohel, mais, malgré la sensation de brûlure, il ne relâcha pas son étreinte et se glissa de tout son long sous son adversaire, qu’il maintint de force au-dessus de lui en dépit de ses gesticulations forcenées.

Le dragon n’eut pas le temps d’infléchir sa trajectoire. Il atterrit comme une pierre sur la cage thoracique du manchot. Ses griffes transpercèrent le tissu, la chair, crissèrent sur les côtes et les cartilages. Affolé par l’odeur du sang, il ouvrit la gueule et se pencha sur la première gorge à sa portée.

— Pas moi, roi Memba… Pas moi…

Mais le reptile surexcité poussa un feulement rauque et planta ses crochets dans le cou de son maître.

— Non, roi…

Un horrible bruit de succion couvrit le râle du mendiant. Au fur et à mesure qu’il se remplissait, l’abdomen du dragon se colorait d’une légère teinte rose. Sur son avant-bras coincé entre le monstre et sa victime, Le Vioter sentait l’atroce et puissant flux du sang aspiré.

Il leva lentement la dague-laser dans un mouvement circulaire et l’abattit d’un coup sec sur la nuque du vampire. La lame de lumière grésilla sur les écailles, et une répugnante odeur de viande grillée se répandit dans la nuit. Le dragon redressa la tête et ouvrit la gueule, comme pour lancer un ultime défi, mais ses crochets ne happèrent que le vide. Sa tête se détacha de son cou et roula sur les planches, tandis que son corps, secoué de spasmes, restait perché sur la poitrine exsangue de son maître.

Cycle de Dame Asmine d'Alba
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